Filus
(Monologue)
de Benjamín Gavarre Silva
Personnage:
Filus (Voix de Bosca, Voix caverneuse, Voix d'Abus)
1.
Sous-sol, presque dans l'obscurité totale. Vieux meubles et objets abandonnés. Voix d'en haut : dispute entre Filus et sa sœur Bosca.
Voix de Filus. — Tu es trop jeune, et pas mariée !
Voix de Bosca. — Ah oui ? Tu sais ce qui arrive quand tu me mets en colère ?
Voix de Filus. — Je sais ce qui peut arriver si tu touches un cheveu de ma tête !
Voix de Bosca. — Ouille, quelle peur !
Voix de Filus. — Tu l'as cherché !
Voix de Bosca. — Avec moi, tu perds. (On comprend que Bosca le frappe).
Voix de Filus. — Au secours ! Bosca est devenue folle ! Abus, contrôle ta petite-fille !
Grand-mère gronde Filus.
Voix d'Abus. — Filus ! Laisse ta sœur tranquille ! Qu'est-ce qui ne va pas avec toi ? Je t'ai dit de ranger le sous-sol. Qu'est-ce que tu as fait ?
Voix de Bosca. — Filus a réfléchi toute la journée. Il pense à ses projets merveilleux et irréalisables.
Voix de Filus. — Mes projets sont transcendants, significatifs.
Voix de Bosca. — Oh là là, comme tu es important !
Voix d'Abus. — Ne vous battez pas. Filus, cinq minutes pour nettoyer le sous-sol.
Voix de Filus. — Laisse-moi tranquille, grand-mère ; je le veux comme ça.
Voix d'Abus. — Nettoie ce taudis.
Voix de Filus. — Je ne suis l'esclave de personne.
Voix d'Abus. — Tu le fais.
Voix de Bosca. — Ne le fais pas, Filus ! Sauve l'humanité !
Voix de Filus. — Tais-toi !
Voix d'Abus. — Je te coupe internet.
Voix de Bosca. — Ça va lui faire mal.
Voix de Filus. — (Crie) D'accord, grand-mère ! À ma façon !
Voix d'Abus. — Comme tu veux.
Voix de Bosca. — Vite, petit frère, vite. Au revoir.
Noir
2.
Filus au sous-sol.
Filus. — (Descend, de mauvaise humeur mais décidé. Prend le balai). À ma façon. Réparer un trou ? Moi, Filus, je le transforme magnifiquement. (Pleure comiquement) Pourquoi moi !
Laisse le balai, s'assoit.
Pourquoi moi !
Cherche des chaussettes, en met une sur sa tête.
(Moqueur) Hélas ! Je n'ai pas de visage ! J'ai perdu mon visage ! Je n'ai pas de visage, hélas !
Sort un faux crâne.
(Histrionique, au crâne) Arrière-grand-père ? (Comme arrière-grand-père) Moi ?... Vicomte Filus III. Assassiné au Caire. Peux-tu enlever cette chaussette ? (Filus) Je m'ennuie, arrière-grand-père. Je déteste la normalité. Je suis supérieur. Grand-mère m'oblige à faire des tâches ménagères qui m'ennuient. (Arrière-grand-père) Oui, oui… (Chanson improvisée) Pourquoi ne te frottes-tu pas, pourquoi ne te grattes-tu pas, pourquoi ne te lasses-tu pas de penser… Fais-toi un bon massage… ! (Filus) Ça suffit, grand-père… arrière-grand-père… ! Ce n'est pas ce dont j'ai besoin… (Arrière-grand-père) Lubrique, extravagant, controversé ? Ton royaume n'est pas de ce monde. (Filus) Je veux faire quelque chose d'important, de transcendant, qui transforme le monde. (Arrière-grand-père) Le monde… masse incandescente… dinosaures… hommes… toi. (Filus) Tu es très pessimiste. Je préfère te laisser. (Arrière-grand-père) Arrière-grand-père, pas grand-père. (Filus) Au revoir.
Laisse le crâne, pensif. Va vers un chariot avec des bocaux de vieux échantillons.
(Avec un bocal, imite Bosca) Regarde, Filus, ce n'est pas extraordinaire… du sang du lundi précédent. (Autre bocal) De l'urine de mardi… Quelle misère ! Je veux transformer ces échantillons indésirables en échantillons acceptables. (Comme Filus) Bosca, tu es folle. Tout est dégoûtant. (Bosca) Oh… merci petit frère. Mais souviens-toi… Nettoie le sous-sol, sinon grand-mère te coupe internet.
Filus balaie sans conviction.
Merci, grand-mère. (Pathétique comiquement) Tu m'as obligé comme un serviteur, un esclave ! Je perds toujours avec toi. Tu n'as pas besoin de ranger le sous-sol si tu ne descends jamais. Il est à moi. Seulement à moi. (Balaye, range, lave par terre au rythme de son téléphone portable). (Satisfait des changements) Bon, ça ne lui faisait pas de mal ! Incroyable comme je bouge un objet… (Range) et l'espace change. Incroyable. Je jette ces ordures… (Jette les ordures) Très incroyable. (Sous-sol propre) J'ai transformé l'espace avec des mouvements. (Regarde le résultat) Oui, facile ; modifications… créer la pièce inexistante. Tout est image, apparence. L'espace est la forme ! (Enregistre sa voix) Léger changement, structure avec : La Forme... La nouvelle image ! (Pour lui-même) Je suis un génie. (Réfléchit) Pourquoi me limiter aux objets, aux espaces ? Pourquoi ne pas créer… La nouvelle image d'un être vivant !...?
Hmm. Facile… De quoi ai-je besoin ? Je sais.
Noir
3.
Quelques jours plus tard. Photomontage d'une grand-mère aimable, traditionnelle, avec un tablier, de vieux vêtements, des bigoudis, une vieille femme au foyer. Trou pour mettre le visage.
Filus, avec son portable, sur un pupitre, conférence scientifique. Public imaginaire de généticiens.
(Didactique, vaniteux) J'ai conçu le programme de transformation cosmétique le plus ingénieux. J'ai créé l'image la plus attrayante.
Avec son portable, il met des applaudissements, fait des révérences.
(Derrière l'image d'Abus, met son visage) Bravo, Filus.
(Retourne au pupitre) L'image extérieure est fondamentale aujourd'hui. Des fortunes dépensées pour être attractifs. (Rires d'Abus) J'ai concentré toute ma sagesse à transformer les désirs de changement même chez les êtres âgés… comme ma grand-mère. (Ému) Moi, Filus, j'ai transformé ma grand-mère en ce qu'elle désirait ! (Applaudissements enregistrés).
Résultats satisfaisants mais non concluants.
Je vais vous raconter ce qui s'est passé il y a quelques jours :
4.
(Lumière sépia. Filus interroge sa grand-mère, doucement). Abus, pense à ce que tu as désiré toute ta vie, l'impossible.
(« Abus »). Filus, je ne dirais pas ça en public ! Je ne voudrais pas être inappropriée… mais je vais te le dire. Je n'ai jamais manqué de prétendants... Des aristocrates, des ambassadeurs, des musiciens. Gentils, éduqués, de noble lignée. J'avais beaucoup de succès. Je les ai laissés me courtiser, mais ils étaient humains ; aucun ne me faisait rien ressentir. Les aristocrates sont partis et je ne le regrette pas. Je ne suis pas amoureuse, non. Comment pourrais-je l'être de...? Je n'arrête pas de penser à lui depuis qu'il est entré au service. Je n'arrive pas à me le sortir de la tête, de l'imagination, je veux dire. Et je ne l'ai même pas entendu, je ne sais pas comment il parle, ni ce qu'il pense. Je ne ressens aucun désir, même s'il est très jeune et qu'il se promène comme ça… si… torse nu…
(Filus) Abus, de qui parles-tu ?
(Abus) Je ne crois pas que mon vaine intention de passer la nuit avec lui soit de mauvais goût. Si personne ne s'en aperçoit… Tu crois que ça ferait mauvais genre que je passe la nuit avec… (Chuchotement) le jardinier ?
(Filus, étonné) Avec le jardinier ! (Silence. Continue son exposé scientifique, vaniteux). Grand-mère, décris le genre de femme qui rendrait le jardinier inévitablement fou amoureux de toi… Comment serait-elle ?
(Grand-mère) Jolie, élégante, sympathique… élégante…
(Filus) Grand-mère, si tu pouvais faire un vœu et devenir la femme la plus attirante sur terre… comment serais-tu ? Décris cette femme !
(Grand-mère) Jolie, élégante, sympathique… élégante…
(Filus) Grand-mère.
(Grand-mère) Élégante… avec un petit chapeau, un sac. Sympathique.
(Filus. Suppose qu'elle ne changera pas sa description, commence l'expérience). Bon. Bien. (Très excité). Prête, grand-mère ? Es-tu préparée ? Nous sommes devant l'une des expériences les plus glorieuses, les plus transcendantales ! Tu feras partie de cette réalité créée par moi et seulement par moi ! Ici commence l'histoire du monde transformable à volonté ! Voici le premier exemple de mon intelligence brillante. Partagez avec moi la gloire et la renommée : je suis désormais une partie décisive de l'histoire de l'humanité !
5.
Lumières et effets spéciaux. Noir. Autre photomontage : grand-mère élégante, sans tablier, avec sac, belle, sympathique, douce. Image de ce qu'Abus voulait être, pour conquérir le jardinier ou sortir avec des amies.
Filus met un masque avec le visage maquillé de la grand-mère dans le trou.
(Filus. Retire le masque, au public). C'est tout. Il ne s'est rien passé. Ou si, ce fut un succès. Les contrôles étaient bons, les données étaient correctes, l'expérience s'est déroulée comme il fallait. Mais… Ce qui devait arriver arriva. Ma grand-mère demanda à être belle, élégante, sympathique… élégante… et elle l'était déjà. Elle a toujours été comme ça. Elle est bien dans sa peau… et ça, mesdames et messieurs, c'est… Très bien. Très bien... Oui, à vrai dire.
(Filus, très triste, met des applaudissements enregistrés, mais cette fois il ne fait pas de révérence).
Ah, mais ça ne pouvait pas en rester là. Non monsieur. Je devais continuer à enquêter et à faire des expériences.
Noir
6.
Lorsque la lumière se rallume, Filus entre avec un chariot sur lequel se trouve une capsule de taille humaine. À l'intérieur de la capsule, au lieu d'une personne, se trouve la poupée de sa sœur Bosca, avec qui il va interagir.)
(Filus s'adresse à son public de spécialistes) Avant de commencer la deuxième expérience… j'ai eu une conversation intéressante avec ma sœur. C'était quelque chose comme…
Il interagit avec la poupée qui représente sa sœur.
— « Bosca, ma petite sœur... »
— « Quoi, Filus ! »
— « Pourquoi ne me parles-tu pas de ton plus grand désir, de ton plus grand souhait. »
— « Moi ? Non, Filus, je m'aime comme je suis. »
— « Dis-moi tes désirs, Bosca ! »
— « Non, Filus, laisse-moi tranquille. Je ne veux aucun changement, Filuuus ! Au secours, Filus est devenu fou ! Mamieee ! »
(Filus didactique, amusant) Nous vivons sans aucun doute une époque où tout le monde veut des pouvoirs. Tout le monde veut voler, lire dans les pensées, faire des voyages inter… inter… galactiques. Bref. Tout le monde souhaite au moins un pouvoir que nous pouvons contrôler et qui fait partie de notre vie quotidienne. Alors, j'ai fait des recherches. J'ai fait de grands progrès dans la science de l'esdrodosphère quantique et j'ai pu obtenir les meilleurs résultats pour un changement significatif chez les sujets de l'expérience. Dans ce cas, le sujet était… Bosca. Ma sœur. Je vais vous raconter comment tout s'est passé. (Il emmène la poupée de Bosca dans la capsule et ferme le couvercle. Il dit au revoir d'un geste triste).
(Filus va au pupitre et s'adresse à nouveau à son public) … par conséquent, bien que les alchimistes aient eu raison dans leurs intentions, ils étaient technologiquement et scientifiquement incapables de réaliser la transmutation des éléments. Moi, même avec les résultats positifs, bien que pas ceux que j'attendais, ce qui est le plus important… j'apprends comme tout bon scientifique et même plus… je confirme mon hypothèse : LE MONDE EST TRANSFORMABLE.
Voix d'Abus. — (D'en haut) Bravo, Filus ; ils vont adorer ça.
Filus. — (Reprenant, légèrement mal à l'aise de l'intervention). J'ai réalisé une modification momentanée en prenant comme objet d'étude un être vivant. Cependant, ne me sentant pas satisfait du changement purement circonstanciel, bien que réussi, n'est-ce pas, Abus… (Rires d'Abus d'en haut) J'ai décidé de pousser mon expérience encore plus loin : effectuer une transformation intrinsèque de la structure de base. C'est-à-dire une transmutation en profondeur, moléculaire et permanente. (Ému) Une altération drastique de la physiologie d'un être vivant en prenant comme point de départ les éléments primaires esdrodosphériques. Oui, je parle précisément d'une métamorphose interne totale, mais sans changements externes significatifs. (Très ému) C'est exact, je parle de l'altération réalisable quantique et chromosomique génétique chez un sujet vivant. (Il met des applaudissements enregistrés avec son propre téléphone portable).
Voix d'Abus. — C'est ça, Filus... bravo !
Filus. — (Reprend son calme). Je tiens à remercier la coopération infinie de mon deuxième et actuel sujet d'étude, qui s'est gentiment proposé lui-même pour être utilisé dans cette expérience. Elle… est censée… devoir…. Être à l'intérieur de cette capsule… Vous savez. Je lui ai demandé : Bosca, chère sœur, quel est ton plus profond désir… En quoi veux-tu que je te transforme… Plus ou moins ces mots.
(Son téléphone sonne, il répond au message). Oui, je me souviens… Oui grand-mère. « Voler, avoir une force surnaturelle, contrôler qui on veut… Et bien sûr, avoir la capacité de traverser les murs quand on le souhaite, oui, quand elle le souhaitait… usurper l'identité de qui on veut, lire dans les pensées… et… et… et… Devenir invisible. »
(Enregistre sa voix sur son portable, très professionnel). Le sujet voulait devenir invisible.
C'est ça.
(Il reste debout, quelques secondes, en silence). Et… eh bien, il paraît… que l'expérience… a fonctionné. Je l'ai mise dans cette capsule. (Il ouvre le couvercle de la capsule et il est évident qu'elle est vide. Si possible, l'intérieur de la capsule vide sera montré au public, comme dans un tour de magie). Et… elle n'est plus là.
Une des explications que je peux donner est qu'elle est effectivement maintenant invisible… mais… pourquoi ne communique-t-elle pas ? Et d'un autre côté. Elle est invisible, je dis, mais elle n'est certainement pas muette. Non. Elle, oui, aime beaucoup la communication. Vous savez. Et même si elle était invisible et muette… elle pourrait me toucher, elle pourrait même me donner un coup, un coup de pied… Ou quelque chose de moins violent. Elle pourrait me prendre la main.
(Reprend sa place de conférencier). Nous pouvons dire que l'expérience a été… un succès relatif. Nous avons pu transformer le sujet. Mais… nous n'avons plus pu avoir de contact avec lui. C'est ça.
Applaudissements enregistrés, rares. Visage de circonstance de Filus.
Noir
7.
Filus est assis sur un vieux meuble avec une chaussette sur la tête.
Filus. — (Déçu). Non, je ne suis pas le génie de tous les temps. Je suis un échec. Je n'ai pas de visage. Rien de ce que je fais ne réussit. (Le couvercle de la capsule s'ouvre, puis s'illumine. Un son aigu et lointain se fait entendre). Petite sœur ? Bosca ? Tu es là ? (Filus enlève la chaussette de sa tête et saute de joie. Il se place à côté de la capsule et essaie de faire communiquer sa sœur). Bosca...! (Il frappe avec ses doigts sur le couvercle, ouvre et ferme plusieurs fois). Hé...! (Il ferme le couvercle et essaie d'écouter ce qui se passe à l'intérieur. On entend des rires nerveux de femme, des éclats de rire d'homme). Bosca, qu'est-ce que tu fais, hein ?
On entend une voix de femme déformée.
Voix de femme déformée. — Filus...! Éloigne-toi ! Va-t'en d'ici avant qu'il ne soit trop tard...!
Filus. — Bosca?... (Silence. Filus, déconcerté, ouvre le couvercle de la capsule). Et ce livre ? Il est ouvert à cette page… Il y a un chat enfermé dans un cercle. Un chat blanc… Pourquoi un chat blanc ? (Filus prend le livre et commence à lire). Sortilège spécial pour quand tout est perdu : Tracez un grand cercle ; avec le sel de mille ans, tracez un cercle. Commencez calmement et atteignez lentement une nuit haute. Faites du monde l'obscurité et de la nuit la sphère. Quand la lumière du feu sera au centre, vous connaîtrez les mots... (Filus se place sous un faisceau de lumière sur scène ; puis, il allume une bougie et la place au centre. Il sort prudemment et reprend le livre). Maintenant, consultez la page deux cent quarante et un... (Obéissant) Page deux, quatre, un : voilà. (Il lit). Si vous savez combien de vies a un chat, allez vous placer au centre. (Il arrive au centre de la circonférence. Filus prend la bougie et continue à lire). Êtes-vous déjà à l'intérieur ?... (Filus répond) Oui, et maintenant quoi... (Il lit). Maintenant, si vous savez vraiment combien de vies a le chat, comptez les fois nécessaires encore et encore jusqu'à ce qu'il arrive. (Il cesse de lire). Je comprends... Merci, Bosca, où que tu sois. J'espère que tu pourras me pardonner. Mais je ne comprends rien à tout ça, au livre et au chat blanc… Et… je crois… j'imagine… je suis sûr que c'est un sort pour qu'un chat apparaisse. Très intéressant. (Aspirant) C'est de la magie. (Il se ressaisit) Non, mais qu'est-ce que je dis. Je déteste la magie et ces idioties. (Il relit). C'est très facile. Voyons voir... (Il sort du cercle et pose le livre et la bougie éteinte sur un meuble. Il place un tableau blanc sur le trépied et écrit). Un chat a sept vies. Sept chats une fois (7 x 1 = 7). Ça fait sept. (Il continue à noter les quantités). Sept chats deux fois : quatorze... (Tableau blanc : 7 x 2 = 14). Plus sept... (Il note et dit : 14 + 7 = 21) égal à vingt et un. Et si nous soumettons ce résultat à une valeur exponentielle, nous aurons vingt et un, plus vingt-huit, plus trente-cinq plus quarante-deux... (Il note et dit : 21 + 28 + 35 + 42) plus sept fois sept qui font quarante-neuf... (Il note et dit : +49) nous obtenons comme résultat : Cent quatre-vingt-seize chats (Il note : 196 chats).
Et si nous additionnons de l'arrière vers l'avant (Il note et dit : 6 + 9 = 15 + 1) Ou non... Plutôt de l'avant vers l'arrière... nous avons : un, plus neuf égal dix (Il écrit et dit : 1 + 9 = 10) et si nous additionnons le six, nous aurons...
(Il écrit et dit 10 + 6 = 16) seize... Et bien sûr UN plus SIX est logiquement et simplement le résultat final... (Il note 1 + 6) C'est égal à SEPT !... Par conséquent, le chat a sept vies. Ou n'en avait-il pas neuf ?... Je vais chercher sur Google... (Il cherche sur son portable) Il en a sept ou neuf... ça dépend du pays. Bon. Bref, où est ce fichu chat...?
La lumière s'éteint complètement. Puis, lentement, le centre du cercle s'éclaire et nous voyons…
L'image d'un démon grandeur nature, une statue ou une grande poupée, peut-être un alebrije ou Judas. Sa voix se fait entendre de l'intérieur.
Voix caverneuse. — Je suis là, Filus... Tu m'as appelé.
Filus. — (Méprisant). Je ne t'ai pas appelé. Je voulais une réponse.
Voix caverneuse. — Viens, approche.
Filus. — Je n'approche pas. Où est ma sœur ? Tu l'as ?
Voix caverneuse. — Oui ou oui… ?
Filus. — Oui, quoi ?
Voix caverneuse. — Je suis la solution à tes problèmes, je suis la solution.
Filus. — Vraiment ? Je veux que mes expériences fonctionnent ; je veux que ma sœur revienne. Tu peux m'aider ?
Voix caverneuse. — Tout ce que tu fais fonctionne. C'est pour ça que je suis venu.
Filus. — Rien de ce que je fais ne marche. Tu ne le sais pas. J'ai transformé ma grand-mère en ce qu'elle était avant et, ensuite, j'ai fait disparaître ma sœur. Pourquoi dis-tu que mes expériences fonctionnent ? Je suis un échec. Je suis nul.
Voix caverneuse. — Aide-moi, Filus... Donne-moi ta main.
Filus. — Et comment je vais te donner la main ? Tu n'as pas de main.
Voix caverneuse. — J'ai besoin de toi, Filus.
Filus. — Ah oui, bien sûr. Alors tu n'es pas un démon très puissant.
Voix caverneuse. — Viens, tu vas t'amuser.
Filus. — Je ne sais pas... Je ne crois pas.
Voix caverneuse. — Si tu ne viens pas, ta sœur ne reviendra plus avec toi.
Filus. — C'est ce que je pensais. Tu l'as.
Voix caverneuse. — Ah ah. Ah ah.
Filus. — Quoi ? C'est comme ça que tu réponds ? Ah ah et ah ah. Franchement, comme démon, tu laisses beaucoup à désirer.
Voix caverneuse. — Et toi, comme scientifique, tu fais pitié. Transformer ta sœur en champ gravitationnel de l'esdro… esdro… sphère.
Filus. — Quoi ? Esdrosphère… Comment tu sais ça ?
Voix caverneuse. — Je me tiens informée.
Filus. — (Surpris) Tu...? (Suspect) C'est bien que tu te tiennes informée…, ça me fait plaisir… Petite sœur.
Voix caverneuse. — Qu'est-ce qui te fait penser que je suis ta sœur ?
Filus. — Très simple. Tu t'es trompé de genre, tu as dit informée, à moins que tu ne sois une diablesse et pas un démon… Et… encore plus clair… Le champ gravitationnel est un concept que j'ai développé dans mes dernières expériences, ainsi que la réalité quantique et l'esdrosphère intersectionnelle… recherche absolument la mienne… l'esdrosphère surtout est la mienne… je veux dire… euh…
Voix caverneuse. — Ah… Oui, bien sûr, l'esdro… férofèro…
Filus. — Et franchement, Bosca, je trouve de très mauvais goût que tu aies espionné mon téléphone, parce que c'est là que j'ai tout enregistré… et que tu utilises des informations privilégiées.
Voix caverneuse. — Diable !
Filus. — (Agacé) C'est ce que je dis… (Soudainement optimiste) Mais il me semble, Bosca, que le processus est sur le point de s'inverser. Au début, tu étais muette, invisible et tu n'avais pas de toucher. Tu n'avais pas le sens du toucher, n'est-ce pas ?
Voix caverneuse. — (Hésitant) Nnnooon.
Filus. — (Sincère) Je peux être tranquille maintenant, et toi encore plus… Je t'assure que dans quelques jours… Tu vas….
Noir soudain et explosion.
8.
Quelques jours ont passé. Lorsque la lumière revient, le démon et la capsule ont disparu. Filus est de nouveau debout à côté du pupitre. L'éclairage est chaud et tout est rangé.
(Filus, sereinement heureux). Le fait est que Bosca est plus heureuse maintenant qu'avant. Et non, personne ne l'a obligée à rester dans l'état gravitationnel esdrodosphérique, mon invention, et elle peut, si elle le souhaite, apprendre à revenir et ensuite repartir selon ses désirs. La transformation n'a pas été définitive et elle a la possibilité de vivre ainsi, invisible… Sa voix s'éclaircit un peu plus chaque jour et, bon, il semble que… le toucher, elle peut l'utiliser à volonté… Si elle le veut, on peut la sentir et si elle ne le veut pas… vous savez.
Ma Abus est très heureuse maintenant qu'elle est à nouveau célibataire… il semble que le jardinier n'ait été qu'une aventure de plus, mais elle est définitivement plus heureuse avec ses amies. Quoi d'autre ? Moi ? Si c'est le plus important… Non. Ce n'est pas vrai. Je suis vraiment devenu un peu plus humble, surtout depuis que j'ai publié mes recherches sur la gravitation esdrodosphérique, vous savez, et… eh bien, j'ai une bourse et très bientôt je vais travailler à… au centre de… (Filus se comporte étrangement, comme si une force le poussait ou le pinçait soudainement). Dans une institution très prestigieuse… vous savez… et… Bosca ?… C'est toi, bien sûr que c'est toi. Parle, petite sœur, je sais que tu peux parler, même avec ta voix rauque… Hé, ça suffit… Laisse-moi. Bien… Je crois que pour aujourd'hui, c'est tout. Je vous quitte, je dois monter un moment et quitter ce sous-sol… parce que c'est ici… que je passe le plus de temps et je dois aussi… sortir et prendre un peu d'air…. Libre… S'il vous plaît… Grand-mère… Abus… Abus…. Bosca est définitivement devenue folle !… Abus. Grand-mèèèèèèèèère.
Noir final.
® Benjamín Gavarre Silva